Tisya Mukuna est une entrepreneure kino-congolaise. Elle a grandi en France où elle est arrivée avec sa famille dès son enfance. À la fin de ses études en 2017, la jeune femme décide de s’installer à Kinshasa. Une année plus tard, elle se lance dans des différents projets et fonde sa propre société « La Boîte » dont elle est la Directrice. La jeune femme crée ainsi sa marque qu’elle nomme « La Kinoise ». Celle-ci propose du café cultivé par son propre entreprise basée au cœur même de la capitale congolaise, à Mont-Ngafula, une commune du sud de Kinshasa. Rencontre avec une jeune entrepreneure exceptionnelle incarnant le dynamisme d’un Congo en mouvement.
Femme d’Afrique magazine : Pouvez-vous vous présenter à nos lectrices ?
Tisya Mukuna : Je suis entrepreneure, Fondatrice et Directrice de « La Boîte » SARL à Kinshasa en RDC. J’ai grandi en France mais j’ai toujours eu à cœur de revenir dans le pays qui m’a vu naître. Mon entreprise fonctionne comme une boîte à idées. On a du coup différents projets dont l’agriculture de café à Kinshasa.
FDA : Quel est votre devise ?
TM : « Ensemble, on est plus fort », car je pense que c’est qu’ensemble qu’on pourra faire changer les choses. C’est par la solidarité que les choses changent.
FDA : Comment avez-vous démarré votre entreprise ?
TM : J’ai démarré mon entreprise en 2018 pour officialiser mes activités. Je dois avouer que ça n’a pas toujours été facile. Du type que vous engagez parce qu’il dit être agronome alors qu’il est jardinier à l‘électricité capricieuse… Mais que voulez-vous ? Il faut faire avec. Tant que l’on croit en son projet, toutes les adversités sont surmontables.
FDA : Nous voyons les jeunes femmes perdre l’élan dans leur passion une fois mariée… Est-ce plus facile pour vous de faire les affaires en étant célibataire ?
TM : Lorsqu’on est marié, c’est vrai qu’on a d’autres priorités : le foyer, les enfants, il faut savoir jongler. Il est important de se sentir soutenu par son époux et ensemble trouver un équilibre. Aussi, il est primordial, mariée ou pas, d’avoir une équipe solide sur laquelle compter et une entreprise stable qui sait affronter les aléas de la vie.
FDA : Quand on voit une jeune femme émerger dans les affaires au Congo, on sous-entend qu’il y a un homme derrière. Qu’en pensez-vous ?
TM : C’est accablant et injuste mais vrai. Il y a cette croyance qu’une femme ne peut jamais réussir seule. C’est soit un père, un oncle, un mari ou un amant qui l’aide comme si les femmes ne pouvaient pas réfléchir seules. C’est très énervant de voir nos efforts et nos exploits réduits à néant avec ce genre d’accusations. C’est notre devoir, et non en tant que femme mais en tant qu’être humain, de se battre contre ces genres de préjugés et bassesses. De façon hypocrite d’ailleurs, lorsqu’un jeune homme bénéficie de l’aide de ses parents pour financer de moitié sa société, on dira que les parents sont généreux et que le jeune homme va réussir car il est doué et capable. Si c’était une jeune femme, on aurait dit « elle a réussi grâce à ses parents ». Deux poids, deux mesures. C’est affligeant ! Il faut prouver par deux fois que nous avons notre place. Lorsque l’on fait une erreur et que l’on est une femme dans un milieu patriarcale, on s’en souvient et on entend des phrases comme « fallait s’y attendre, les femmes n’y connaissent rien en agriculture », oubliant ainsi que l’erreur est humaine. Mais de cette même façon, une femme aux commandes est remarquable. On se souvient plus facilement d’une femme pilote ou PDG qu’un homme car voir des femmes dans des postes de direction est encore rare. Alors l’atout majeur qui nous permet de marquer les esprits, nous devons le faire avec compétence.
FDA ; Quelles sont, à votre avis, les caractéristiques à développer pour réussir en affaires?
TM : La patience. Un des principaux atouts qu’il faut développer dans le monde des affaires est la patience. Tout vient à point à qui sait attendre. Nous n’avons rien dans la précipitation. Bien souvent, on peut être tenté de foncer la tête baissée, on ne prend pas le temps de prendre notre temps. On veut aller vite, faire vite et on oublie de réfléchir. Quand on a une idée originale, il faut se demander pourquoi elle n’a jamais été réalisée avant d’oser.
FDA : Des projets d’avenir pour votre entreprise ?
TM : Concernant « La Kinoise », il est tout d’abord important de réintroduire le café comme boisson à part entière, mais aussi, de pousser à la consommation locale, notamment avec une campagne de promotion du made in Congo. J’ai, à cet effet, réuni autour d’une vidéo, d’autres entrepreneurs qui font des produits locaux : confiture, pain, thé, jus, yaourt etc. L’idée était de faire une vidéo où l’on montre un petit déjeuner avec des produits 100% congolais. Il est essentiel d’avoir une vision à long terme. La nôtre est qu’un jour quelqu’un en Suisse, au Japon ou en Afrique du Sud vante le savoir-faire congolais et dise « qu’il est bon le café congolais ! ». On doit rêver grand, que l’on connaisse notre pays pour autre chose que les guerres. Le changement, c’est maintenant et non dans 10 ans. On est nombreux à l’espérer en comptant sur les politiques. Or, on peut tous incarner ce changement à notre hauteur.
Alors soutenons-nous les uns, les autres. L’Afrique se développera avec et par les africains. Produisons et consommons ce qu’offre notre terre riche et fertile. Soyons curieux et découvrons toutes ces personnes qui travaillent nuit et jour pour nous offrir les produits de notre terroir. Aimons notre continent, aimons-nous.
FDA : Un message aux jeunes femmes qui hésitent encore d’entreprendre dans ce domaine de la Gastronomie qui reste dominé par les étrangers ?
TM : Je ne peux pas motiver quelqu’un à réaliser, je ne peux pas motiver quelqu’un à vivre sa vie et concrétiser son propre projet. Cette hargne, on doit l’avoir en soi. Il n’y a personne qui pourra se battre plus que vous-même pour vos rêves. Ne vous faites pas d’illusion, c’est difficile, long, périlleux, la concurrence est rude… mais si vous avez ce feu en vous qui vous réveille chaque nuit, qui envahit vos pensées, qui guident vos pas… alors n’hésitez plus. Foncez !