Le Centre Culturel et Artistique pour les Pays d’Afrique Centrale (CCAPAC), inauguré le 14 décembre 2024 dernier à Kinshasa, est présenté comme une plateforme culturelle phare de la République Démocratique du Congo (RDC). Cette initiative symbolise l’ambition d’ériger la culture en moteur de développement socio-économique et de positionner la RDC comme un pôle culturel régional. Cependant, cette structure, bien qu’ambitieuse, fait face à de multiples défis institutionnels et organisationnels qui pourraient fragiliser son fonctionnement.
Une infrastructure d’envergure pour le développement culturel
Patrick NZAZI KIAMA, journaliste culturel et critique d’art, souligne l’importance de ce centre pour la scène artistique congolaise :
« Dans un pays riche en talents mais pauvre en infrastructures culturelles, le CCAPAC représente un espace professionnel inédit. Il permettra non seulement la diffusion des créations artistiques, mais aussi un cadre propice à leur production. En se dotant d’une programmation pluridisciplinaire régulière, ce centre pourra être un levier du développement culturel et un catalyseur économique grâce aux contributions fiscales générées par les industries culturelles et créatives. »
Un modèle de gouvernance sous tension
Le décret n°24/09 du 14 octobre 2024, qui régit le CCAPAC, institue une gouvernance partagée entre le comité de pilotage, la direction générale et une gestion transitoire assurée par une chargée de mission. Ce modèle, incluant de nombreux acteurs politiques, suscite des interrogations sur son efficacité.
« Le modèle de gouvernance actuelle, impliquant plusieurs ministères, est problématique, » poursuit Patrick NZAZI.
« Un tel format risque d’engendrer des rivalités politiques et des blocages administratifs. Pourquoi ne pas avoir placé le CCAPAC exclusivement sous la tutelle du Ministère de la Culture, comme c’est le cas dans d’autres pays ? Cette complexité décisionnelle pourrait compromettre la fluidité des actions du centre. »
Il nest pas encore trop tard pour les autorités du pays de revoir cela afin déviter tout éventuel obstacle au fonctionnement du centre, prévient- il.
Grâce Kalima Ngowe, opératrice culturelle, curatrice indépendante et artiste visuelle, elle par contre souligne la nécessité de revoir certains aspects du modèle de gouvernance :
« Il est important que les rôles de chaque partie soient clairement définis afin d’éviter les chevauchements et les conflits. En établissant des canaux de communication efficaces entre les différentes parties prenantes, on peut faciliter la collaboration et la transparence dans les décisions. »
Une gestion provisoire acceptable mais perfectible
Actuellement, une chargée de mission provisoire dirige les activités du centre en attendant la nomination des responsables permanents. Si ce mode transitoire assure une certaine continuité, il ne garantit pas la stabilité nécessaire à long terme.
Patrick NZAZI tempère cependant cette critique :
« La gestion provisoire est essentielle tant que la direction générale n’est pas mise en place. Elle permet de coordonner les activités et de poser les bases de la politique du centre. Cependant, une fois la direction effective, il sera crucial de définir clairement le rôle des différents responsables pour éviter les chevauchements et assurer une gouvernance cohérente. »
Un avenir incertain mais prometteur
Malgré ces défis, le CCAPAC a un potentiel immense. Avec une gestion solide et une vision stratégique, il pourrait devenir un acteur clé du rayonnement culturel de la RDC et de l’Afrique centrale.
« Une approche inclusive, collaborative et adaptable sera essentielle pour assurer la pérennité et l’impact positif du CCAPAC, » affirme l’artiste Grâce Kalima. Ainsi , elle nous propose des alternatives pour améliorer la gouvernance et répondre aux attentes des artistes locaux.
: “ Organiser des ateliers et sondages participatifs pour recueillir les avis des artistes et créateurs sur leurs attentes et défis pourrait influencer les décisions prises par la gouvernance. Assurer une représentation adéquate des artistes dans le comité de pilotage pour qu’ils aient une voix directe dans le processus décisionnel.Lancer des programmes de soutien à la création, des appels à projets répondant aux besoins des créateurs locaux tels que des résidences artistiques, des financements ou des espaces de travail. Organiser régulièrement des événements mettant en avant le travail des artistes locaux.Instituer des sessions de retour d’expérience où les artistes peuvent partager leurs réussites et défis rencontrés, ce qui peut aider à ajuster les politiques.Collaborer avec d’autres structures culturelles, universités et organisations pour élargir les ressources et rechercher des financements auprès de sponsors et mécènes.”
Pour Patrick NZAZI
« Seul un mode de gestion adapté déterminera la grandeur du CCAPAC et son impact réel. Il est temps que les autorités revoient leur copie pour faire de ce centre un véritable moteur de transformation culturelle et économique. »
Le CCAPAC se trouve donc à un carrefour décisif. Sa survie et son rôle stratégique dépendront de la capacité des dirigeants à surmonter les défis actuels et à réinventer son modèle de gouvernance pour garantir son succès.