Maïs, arachides, chenilles et légumes-feuilles. Ces aliments peuvent-ils vraiment changer le destin de nos enfants ? À Rutshuru, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, un bébé de 15 mois refuse de manger. Sa maman inquiète, participe à une séance de démonstration culinaire organisée par Healthy Life NGO. Guidée par les formateurs, elle apprend à préparer une bouillie à base de farine de maïs enrichie au soja et à l’arachide, ajoutant progressivement des légumes et du poisson séché. Trois mois plus tard, le suivi révèle un enfant en pleine reprise de poids et d’appétit
La malnutrition infantile demeure l’un des fléaux les plus préoccupants en RDC. Selon l’UNICEF, près de 42 % des enfants de moins de cinq ans souffrent de retard de croissance. Ce chiffre traduit une réalité poignante : des familles entières, souvent pauvres, privées d’accès à une alimentation diversifiée et parfois limitées par des croyances culturelles, voient leurs enfants privés de repas essentiels pour leur développement.
À Kinshasa, capitale de la RDC, fortement urbanisée, malgré l’abondance des marchés, les repas manquent de diversité et les produits ultra-transformés très coûteux, dominent souvent les assiettes.
La malnutrition en chiffres selon le rapport 2023-2024 de l’UNICEF
- 3,3 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique
- 42 % des enfants présentent un retard de croissance ;
- 6 millions de personnes vivent en insécurité alimentaire aiguë ;
- La malnutrition contribue à près de 45 % des décès infantiles
- Zones les plus touchées : Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri et les centres urbains comme Kinshasa.
Et si les solutions étaient déjà dans nos assiettes ?
Depuis sa création en 2022, Healthy Life NGO concentre ses actions dans l’Est de la RDC, particulièrement, dans les provinces du Nord-Kivu, à Rutshuru, Binza et Nyiragongo, du Sud-Kivu, dans la partie nord de l’Ituri, au centre du Kasaï- Central et à l’Ouest du Kwilu.
Pour Sylvestre Bikorimana, Secrétaire général de Healthy Life NGO, la clé est dans la redécouverte des aliments locaux.
« Nous organisons des démonstrations culinaires pour apprendre aux mamans à préparer des bouillies enrichies avec du maïs, sorgho, mil ou manioc, associés au soja, aux arachides et aux légumineuses. Les légumes-feuilles comme le mfumbwa, le sombe, l’isombe, le bitekuteku, les feuilles de courge et le kikalakasa apportent vitamines et minéraux. Les petites protéines animales issues des poissons de rivière (ndakala), œufs, chenilles, petits poissons séchés sont également essentielles et faciles d’accès. »
Les programmes incluent aussi le dépistage et le suivi nutritionnel, ainsi que la sensibilisation à l’allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois, avant l’introduction progressive d’aliments complémentaires.
Les produits locaux : Témoignages de terrain
Une maman de quatre enfants aujourd’hui adultes raconte :
« Après six mois d’allaitement, je leurs donnais une bouillie à base de soja, de maïs, de poisson fumé, de chenilles et de légumes kikalakasa. Ils ont tous grandi en bonne santé. »
Mamie Mulewula, habitante de Masina, une commune de l’Est de la ville de Kinshasa, nourrit son bébé de 18 mois uniquement avec des produits locaux.
« Avec 28 000 FC ou 10 USD, je parviens à nourrir mon bébé pendant presque trois mois grâce au maïs, au soja, aux arachides, au kikalakasa et au poisson séché. »
Nutrition infantile : que disent les experts sur nos aliments locaux ?
Selon la nutritionniste Nelly Mbayo Mwema du Centre hospitalier d’état Mama Pamela Delargy à Kasa-Vubu, « Le Congo possède déjà tout pour nourrir sainement ses enfants » :
6–12 mois : besoins en fer et vitamine A (poissons séchés, œufs, soja, légumes-feuilles comme mfumbwa et kikalakasa).
12–18 mois : priorité aux protéines (chenilles, arachides pilées, kikalakasa, bouillies enrichies).
18–24 mois : besoins énergétiques accrus, diversité glucides et lipides (manioc, patates douces, maïs, huile de palme rouge, arachides, sésame) et fruits locaux (papaye, mangue, banane).
Nelly Mbayo a insisté sur l’accès à une eau potable, car, sans elle, les infections diarrhéiques annulent les bénéfices nutritionnels.
« L’alimentation complémentaire doit rester basée sur des produits locaux accessibles. Une assiette équilibrée, complétée par une eau potable, fournit tous les nutriments nécessaires pour grandir en bonne santé. »
Pour une économie durable et accessible à tous
L’aspect économique est déterminant. Une maman explique :
« Pour mon bébé de 9 mois, j’achète une bouillie industrielle importée de 500 g à 10 000 FC ou 4 USD, qui ne dure que deux à trois jours. Une boîte de lait de 400 g coûte 24 500 FC ou 9,5 USD, et tient trois jours. Sur un mois, cela représente près de 100 000 FC ou 40 USD, sans compter les autres membres de la famille. »
En comparaison, avec les produits locaux, Mamie Mulewula nourrit son bébé de 18 mois pendant trois mois pour 28 000 FC ou 10 USD.
Ce contraste montre que les produits locaux sont à la fois nutritifs, abordables et durables, alors que les alternatives importées sont coûteuses et moins pratiques.
Il sied de relever que la malnutrition infantile en RDC n’est pas une fatalité. Les solutions sont déjà là, dans les champs, les marchés et les assiettes des familles. Valoriser le maïs, le soja, les arachides, les chenilles, les petits poissons séchés, le kikalakasa, les légumes-feuilles et autres, c’est investir dans la santé et l’avenir des enfants.
« Nos assiettes locales regorgent de trésors nutritionnels. Redécouvrir et valoriser ces aliments, c’est donner à chaque enfant congolais une chance de grandir en bonne santé », telle est la conclusion de Sylvestre Bikorimana.
Victoria Ndaka




