Kinshasa est inondée, ces derniers jours, par des sonorités indigestes distillant une musique tout aussi funeste, abjecte et indigne du statut que s’est adjugée, depuis l’indépendance, cette capitale dite de la rumba.
À longueur de journée, les tympans sont sollicités par un flot d’animations malsaines sur un fond musical ambiant prisé, curieusement, par des adolescents. Le coupé-décalé à la sauce kinoise, pourrait-on dire, avec cette particularité qu’il puise dans les travers d’une société en déliquescence, mettant en relief ses tares et ses incartades. Des disc-jockeys, convertis chanteurs de circonstance, ne vont pas de main molle pour faire valoir ce qu’ils ont dans leurs tripes. Ce qu’ils sortent, après de longues séances de studio, est un peu le reflet d’une certaine vie construite dans les dédales des boîtes de nuit où sexe et argent font souvent bon ménage.
À côté d’eux, il y a tous ces artistes-musiciens fabriqués par la rue, n’ayant aucune base ni éducationnelle ni professionnelle. Telle cette belle femme qui ne peut donner que ce qu’elle a, ces chanteurs improvisés ne peuvent déverser sur le marché du disque que ce dont ils sont capables, c’est-à-dire, une musique immonde, reflet de leur propre personnalité.
Tout est vicieux dans cette musique presqu’atypique. Du gestuel qui l’accompagne à la flopée des mots indigestes qui émargent des baffles à grand renfort des décibels, tout est altéré, corrompu et orienté vers les dessous de la ceinture.
Le niveau d’enracinement que prend cette tendance musicale nivelée vers le bas dans une société kinoise quasi apathique, inquiète. Elle est omniprésente cette musique de caniveau dont les tentacules s’étendent jusque dans des cercles supposés affranchis d’une certaine banalité. Elle s’invite même dans certaines manifestations sélectes, distillant son venin ravageur d’immoralité avec tous ses excès et ses avatars. Où est l’autocensure qui astreint le chanteur à demeurer dans les limites du tolérable, de la décence et de la morale ? Nulle part.
Il est vrai que cette propension à la dépravation qui caractérise aujourd’hui la chanson congolaise n’est pas un fait nouveau. Elle s’est déclinée sous diverses formes à travers les âges, encore que jusqu’à un certain passé, cette forme musicale passait pour un épiphénomène qui ne bousculait pas tellement la conscience collective. Les artistes de réputation perverse étaient ciblés et identifiés comme tels.
Ils se comptaient pour ainsi dire au bout des doigts. Les Kallé Jeef, Niko Kassanda, Franck Lassane et autres sont partis avec leur art empreint de décence qui savait allier, dans une synergie parfaite, l’utile à l’agréable avec, à la clé, des thématiques puisées dans leur vécu sociétal. On est à des années-lumière de cette musique raffinée certes de la « vieille école » mais pérenne de part ses mélodies et les messages dont elle était porteuse.
Que reste-t-il encore de la morale publique aujourd’hui ? Presque rien. Ceux qui sont censés en être les garants en sont devenus curieusement ses principaux pourfendeurs. Devenue quasiment une seconde nature pour les artistes-musiciens qui l’ont intégré dans leur agir comportemental, l’obscénité aura finalement trouvé dans la chanson congolaise moderne, un relais-porteur. Elle se négocie à peu de frais à Kinshasa désormais envahie par les « Ujana », ces illuminées des temps modernes. Existe-t-il encore une censure dans ce pays en vue de réguler la chanson pour l’intérêt public, mais également pour le salut des âmes innocentes ?
Apparemment, l’autorité publique en charge de la culture a des idées ailleurs, alors que le moment crucial que le pays est en train de traverser sur fond d’un enjeu électoral déterminant pour sa survie en tant que nation requiert de sa part plus de responsabilité dans la régulation de son secteur. Tous les décideurs, ou presque, sont passés à la trappe au grand désenchantement des Congolais consciencieux et soucieux du devenir de leur pays. Ainsi va la vie à Kinshasa la capitale et l’on fait avec. Bien malgré nous. A